cerveau_inter_1.indd - page 16

Les grands principes du c3rv34u
50
S
ur le plan mathématique, depuis le révé-
rend Thomas Bayes (v. 1701-1761) et le
mathématicien Pierre Simon de Laplace
(1749-1827), on sait quelle est la manière
optimale d’effectuer ce genre de déduc-
tions – c’est la théorie dite « bayésienne »
de l’apprentissage. Que contient cette
théorie mathématique ? Sans entrer dans
le détail, onpeut dire qu’il s’agit d’une sorte
d’extension de la logique. Tout le monde
connaît les syllogismes du type : « Si A est vrai, B
est vrai ; or B est faux ; donc A est faux. » La théorie
bayésienne permet d’étendre ce raisonnement aux
situations où les lois et les faits ne sont pas connus
avec certitude, mais seulement de façon probabi-
liste. Grâce à elle, nous pouvons résoudre des pro-
blèmes du style : « Si Aest vrai, il y a 90%de chances
que B le soit aussi ; or je suis à 80% certain que B est
faux ; donc… » Ce type de déduction, où l’on remonte
aux causes cachées des observations, s’appelle une
inférence probabiliste
ou une
induction
. Savoir cal-
culer avec des probabilités est fondamental pour
le cerveau, car celui-ci vit dans unmonde d’incerti-
tudes et de données partielles, dans lequel il lui faut
prendre des décisions enminimisant les risques.
Il semble bien que l’architecture du cortex
ait évolué pour réaliser, à très grande vitesse et de
façon massivement parallèle, des inférences pro-
babilistes. L’algorithme utilisé pourrait expliquer la
manière dont notre cerveau anticipe sur le monde
extérieur et dont il répond à la nouveauté. De plus,
cet algorithme serait présent dès leplus jeune âge : le
bébé humain, comme l’adulte, serait doté d’extraor-
dinairescompétencespourlecalculdesprobabilités.
LES INFÉRENCES
INCONSCIENTES
DANS LA PERCEPTION
VISUELLE
Laperceptionvisuelle fournit unexcellent
exemple d’inférence inconsciente : pour recons-
truire ce que nous voyons, notre cerveau effectue,
sans que nous en ayons la moindre conscience, des
millions de calculs de probabilités. En effet, toutes
nos entrées sensorielles sont ambiguës – chacune
d’elles pourrait résulter d’une infinité de causes
possibles
Figure 1
. Par exemple, lorsque nous voyons
une assiette, elle projette sur notre rétine un
contour ovale qui est compatible avec une infinie
variété de formes tridimensionnelles. Toutefois,
notre cerveau ne nous laisse voir que la plus pro-
bable d’entre elles, la forme circulaire.
La tâche de notre système perceptif est
donc de sélectionner, parmi une infinité de solu-
tions possibles, celle qui est la plus plausible. La
théorie statistique bayésienne explique ce proces-
sus de choix quasi optimal. Elle précise comment
combiner, selon des équations bien précises, les
données observées avec les
a priori
tirés de notre
expérience passée, pour en déduire la plausibilité
de chacun des modèles possibles de notre envi-
ronnement, et enfin sélectionner celui qui a la
plus grande probabilité
a posteriori.
Pour perce-
voir le monde extérieur, notre cerveau réaliserait
donc en permanence des
inférences statistiques
inconscientes.
Cette conception a été introduite
dès 1867 par le grand physicien Hermann von
Helmholtz dans son célèbre
Traité d’optique
physiologique.
Les entrées sensorielles se com-
binent à nos attentes pour former le contenu de
l’expérience consciente.
Depuis Helmholtz, un siècle et demi d’ex-
périmentation en psychophysique a largement
validé l’hypothèse de la perception bayésienne.
Lorsqu’il utilise les ombres pour percevoir le relief,
par exemple, notre cerveau tient compte de ce qu’il
voit, mais aussi de ce qu’il sait. Confronté à une
combinaison ambiguë d’ombre et de lumière, qui
peut indiquer la présence d’une sphère convexe ou
concave, il ajoute à l’image sa connaissance
a priori
du fait que la lumière a plus de chances de venir d’en
haut pour en déduire la forme la plus probable. De
même, lorsque nous estimons la taille d’un objet que
nous tenons en main, notre cerveau combine les
informations tactiles et visuelles en tenant compte
de leur niveau d’incertitude, exactement comme le
prédisent les équations du révérend Bayes.
page 48
RenéMagritte
,
La Condition humaine II
, 1935,
huile sur toile, 100 x 81 cm
1...,6,7,8,9,10,11,12,13,14,15 17,18,19,20,21,22,23,24,25,26,...43
Powered by FlippingBook