Article publié dans Découverte, la revue du Palais de la découverte
N° 403 ( mars-avril 2016), p.2-3

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Dans la nuit du 13 au 14 mars 1986, la sonde européenne Giotto frôle la comète de Halley lors de son passage près de la Terre. C’est la date qui a été choisie pour inaugurer la Cité des sciences et de l’industrie… et son premier rendez-vous avec le public. Ce soir-là, 12 000 personnes découvrent le bâtiment monumental et « un musée qui se veut pas comme les autres ». Trente ans plus tard, la Cité conserve sa motivation d’origine. Sa vocation ne l’a pas quittée. Forte de son ADN, conçue pour évoluer, se renouveler, elle s’envisage au futur.


En 1977, le président Valéry Giscard d’Estaing lance une mission sur la reconversion du site de la Villette. Il confie au physicien Maurice Lévy une étude de faisabilité d’un musée scientifique dans la salle des ventes restée inachevée. Le bâtiment est gigantesque (140 000 m2). Le projet sera à son échelle, ambitieux.
Boston, Chicago, Munich, San Francisco, M. Lévy entreprend un tour du monde des musées de science et rentre convaincu du devoir de moderniser la communication scientifique en France. En 1979, il remet son rapport dans lequel il pose les bases du futur musée des sciences, des techniques et de l’industrie.


DES ABATTOIRS À UN MUSÉE DES SCIENCES ET DES TECHNIQUES

Exclu un temps du programme, il est rappelé par François Mitterrand (1916-1996) qui confirme le projet. M. Lévy accepte « pour une fois qu’un pays était décidé à poursuivre un énorme effort en faveur des sciences » dit-il.
Entre-temps, Adrien Fainsilber est désigné pour devenir l’architecte du lieu et transformer
l’immense salle des ventes en musée. Tirant le meilleur parti de l’existant, il s’efforce de traduire dans les structures architecturales les directives du rapport Lévy. « Un dialogue merveilleux avec le concept initial » dira-t-il. Pari tenu.
À partir d’une « carcasse », Fainsilber livre un vaisseau de verre, de béton et d’acier, unissant l’espace, l’eau et la lumière. Un vaisseau se reflétant dans les triangles d’acier poli de la sphérique Géode qui lui fait face, autre prouesse architecturale, unique. Le rapport est le fil conducteur, l’architecture, la colonne vertébrale sur laquelle les équipes vont s’appuyer.

POURQUOI LE BAPTISER « CITÉ » ?

Un musée est associé souvent à l’idée de conservation d’objets et de savoir. Dès son rapport, M. Lévy souligne la nécessité de trouver une autre appellation. Le terme ne reflète pas la complexité de ce lieu du futur, qu’il définit comme un « prototype », ni le rôle qu’il est destiné à jouer. « Il ne se contente pas de montrer des expositions » explique-t-il, « c’est un système de communication… Il comporte toute une série d’éléments (expositions permanentes, temporaires,
médiathèque, espace industrie, salle d’actualité, Maison des associations, Inventorium…)
qui tous apportent quelque chose, et dont la complémentarité a été recherchée… ». Autant de chemins à emprunter, croiser, relier pour que chacun puisse accéder à la culture scientifique, au questionnement. Un lieu de « citoyenneté ». Le choix de « Cité » exprime son intégration dans le monde actuel. La continuité entre le monde du savoir, le monde des techniques et celui de l’Homme en société.

TRANSMETTRE L’ÉMOTION DU SAVOIR…

C’est un espace de rencontres, entre la science et ses applications, où chacun peut s’interroger et comprendre. Une nouvelle approche y est proposée, qui présente simultanément les aspects scientifiques, industriels et socio-économiques. « C’est la première fois que l’on fait une présentation qui ne soit pas triomphaliste de la science et de la technique. On va montrer à la fois les progrès et ce que nous avons appelé « les ambivalences » du progrès » déclare le père fondateur. « De ce point de vue, l’incorporation des sciences humaines est une première.» Sa vocation peut se résumer ainsi : raconter l’aventure humaine à laquelle les sciences et les techniques contribuent ; le risque qui lui est inhérent ; et la transition vers le monde industriel de demain.
L’ambition est d’être accessible à tous les publics, de 3 à 90 ans ; moderniser les esprits développer l’esprit critique alliant la rigueur et le recul vis-à-vis de l’activité humaine ; développer la créativité et l’innovation, et sensibiliser les jeunes générations à tout ce que les sciences et techniques ont de passionnant et aussi de fondamental pour le développement de nos sociétés. Maurice Lévy ne s’en cache pas : « Toute oeuvre culturelle est une oeuvre personnelle.» C’est lui qui a choisi les quelque 2 500 à 3 000 scientifiques, industriels, artistes… ayant collaboré à la réalisation de « ce musée d’un nouveau genre ». Des « bâtisseurs » qui souscrivent à l’idée d’abandonner l’approche disciplinaire au profit d’une présentation thématique et de proposer une muséographie sensorielle résolument novatrice. À l’inverse des musées traditionnels, ici il faut « toucher ». La médiation fait appel au sens, à l’imagination, invite à l’expérimentation, à l’interactivité. On entre ici pour s’informer, comprendre, manipuler, participer au maximum. Le visiteur est acteur.
Une vision moderne de la science et de l’industrie qui appelle à une approche pluridisciplinaire. Un concept rendant « ludique » une discipline qui peut alors encore faire peur, et pourra reposer désormais sur le droit à l’émotion de savoir, la curiosité de comprendre plus que le devoir d’apprendre.

 

30 ANS AU FUTUR

Cette année, la Cité des sciences et de l’industrie célèbre sa trentaine. Bien sûr, comme tous elle se souvient... mais pour penser l’avenir. Attentive aux mutations, hier celle de la révolution audiovisuelle et informatique, aujourd’hui de la société numérique, elle se réinvente avec son
temps et son environnement. Si elle était créée maintenant, nous l’appellerions « Cité des sciences et de l’innovation » dit Bruno Maquart, son président actuel. Et s’il lui promet une métamorphose dans les dix ans à venir, son rôle est de « continuer à fournir les clefs de compréhension du monde qui nous entoure et son mouvement. Donner à ses concitoyens la capacité de participer aux débats qui traversent notre société. Elle doit répondre aux nouveaux usages, aux nouvelles attentes des visiteurs, ce qui implique de réfléchir à ce que l’on fait
autant qu’à la manière dont on le fait ».