Il a été aussi relativement visionnaire avec l'aventure Apollo !
J. V. : Quand nous sommes allés sur la Lune dans les années 60, on s'est rendu compte que la description de ce voyage dans De la Terre à la Lune était étonnement proche de la réalité de la mission Apollo. En fait, Jules Verne a travaillé avec un ingénieur qui a effectué des calculs. Dans l'histoire, il a indiqué que le meilleur endroit pour décoller vers la Lune c'était la Floride, ce qui s'avéra être l'emplacement presque exact de Cap Canaveral. Il y aussi d'autres similitudes avec Apollo : la trajectoire de sa fusée, le nombre d'astronautes, la forme de la fusée aussi. Et enfin, Apollo est retombé dans l'Océan pacifique à cinq kilomètres de l'endroit indiqué par mon arrière-grand-père.
Là où Jules Verne a été un visionnaire, c'est lorsqu'il a considéré dès 1860 que ce serait les Américains qui iraient en premier sur la Lune et que cette conquête viendrait de la guerre. Verne estimait que la guerre de Sécession ferait faire un bond en avant à la recherche balistique. Or, il se trouve que Un, ce sont bien les Américains qui ont beaucoup investi dans la recherche techno-scientifique militaire, et ont effectivement acquis, par la même, les moyens technologiques pour voyager sur la Lune; et Deux, que c'est bien la seconde Guerre Mondiale qui a déclenché une course à l'armement et aux missiles intercontinentaux. On voulait torpiller le plus vite, le plus loin et le plus haut possible. C'est donc cette recherche dans l'armement qui a permis de mettre au point la technologie spatiale des années soixante, les fusées lunaires et la série Apollo.
Verne est-il aussi visionnaire sur les rapports entre techno-science et humanités ?
J. V. : Il avait développé une compréhension logique du siècle dans lequel il vivait, et cette compréhension a nourri l'ensemble de son œuvre. Il est parvenu à faire un tri dans les grands mouvements politiques, technologiques, scientifiques, philosophiques, sociaux qu'ils soient naissants, existants ou pleine expansion. Il a vu ce qui formerait et modifierait la société et comprit qu'il y aurait une révolution fondamentale celle de la technologie, de la science — presque personne n'en avait conscience à ce moment-là — et il l'a poussé à son paroxysme. Il y a eu de nombreuses découvertes XIXe siècle : c'est le moment où la machine industrielle et capitalistique, telle que nous la connaissons est apparue.
Jules Verne a compris que la science est l'un des rares langages communs à l'humanité entière et que la technologie et l'argent sont l'une des rares choses qui soient sans frontières. La science, la technologie et le capitalisme se développaient en parallèle. Il a compris qu'à un moment donné, ce trio coïnciderait, pour ne former qu'un seul mouvement. La science serait soutenue par le développement de la technologie, qui elle-même serait soutenue par le capitalisme industriel, qui lui apporterait les moyens financiers pour se surmultiplier.