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LA BIodIVERsITé
En ouvrant un livre sur la biodi-
versité, le lecteur pourrait s’at-
tendre à un « dépaysement », à la
découverte de lieux étonnants ou
d’espèces surprenantes, très éloi-
gnées de ceux que nous côtoyons
par leur structure ou leur mode
de vie. C’est, au contraire, notre
propre espèce qu’il retrouve dès les pre-
mières pages, car c’est le parti-pris de ce
livre de placer d’emblée l’Homme – ou plu-
tôt l’humanité – au centre du questionne-
ment sur la diversité du vivant et de mon-
trer que, depuis les débuts de l’humanité,
se sont mises en place des interactions, des
interdépendances étroites entre les humains
et de multiples espèces vivantes.
D’ampleur relativement limitée lorsque
notre planète ne comptait que quelques
centaines de millions d’habitants, cette
influence humaine
concerne aujourd’hui
l’ensemble de la bios-
phère. L'humanité a
modelé, pour ses propres
besoins, de multiples
milieux et l’on découvre
chaque jour davantage
à quel point des milieux
que l’on croyait « protégés » sont, de fait,
influencés, parfois à grande distance, par
des activités humaines. En effet, alors que
l’on avait longtemps pointé du doigt la
surexploitation des ressources comme une
source majeure de leur raréfaction, on
découvre aujourd’hui que de nombreuses
espèces non exploitées connaissent égale-
ment des évolutions préoccupantes. Ceci
parce que d’autres facteurs, plus indirects
mais tout autant liés à l’Homme, sont à
l’œuvre. Certains sont massifs et désormais
bien identifiés, comme la déforestation.
D’autres sont plus discrets, plus perni-
cieux, comme la fragmentation des habi-
tats. D’autres enfin font encore l’objet
d’interrogations et de débats sur les
impacts actuels et,
surtout, à venir :
c’est le cas des mul-
tiples substances
chimiques désor-
mais présentes, à
faible dose, dans l’environnement, que
l’on peut aujourd’hui détecter mais sans
disposer d’une évaluation des risques liés
à leur présence.
Cette prise de conscience, encore limitée,
du rôle déterminant de l’Homme s’accom-
pagne de trois « révisions » de notre regard
sur la biodiversité. La première concerne
la connaissance de son ampleur. Si la
recherche continue d’avancer dans l’in-
ventaire de la diversité du vivant, elle a en
effet progressé encore plus vite dans l’es-
timation du travail restant à accomplir et
elle nous délivre un message clair pour les
décennies à venir : nous devrons gérer une
diversité dont la majeure partie nous res-
tera inconnue. La deuxième révision
concerne l’importance des services issus
de la biodiversité. Là aussi, si nous étions
convaincus de la valeur, en particulier
économique, des ressources que nous
tirions des écosystèmes naturels ou culti-
vés – aliments, fibres, bois, médicaments –
nous étions beaucoup moins conscients
des multiples autres « aménités » issues
des écosystèmes. Il a fallu qu’apparaissent
certains dysfonctionnements ou événe-
Bernard cHevassus-au-Louis
Inspecteur général de l'agriculture, ancien président du Muséum national d’Histoire naturelle
Biodiversité :
la fin du sauvage ?
«
Nous devrons gérer
une diversité dont la
majeure partie nous
restera inconnue.
»
«
L’humanité
mise désormais
sur les ressources
de la nature
pour assurer
son avenir.
»
PRÉFACE