Était-il très documenté sur la science et les techniques ?
G. St. B. : Oui, c'est extraordinaire parce que non seulement c'est un dévoreur de livres — tous les écrivains sont d'abord des lecteurs — mais un auteur qui a une création prodigieuse : il a écrit 62 romans, 18 nouvelles, en tout 80 volumes et 30 pièces de théâtre, soit 22 000 pages avec 5 000 illustrations. C'est quelqu'un qui a fait des livres sur la géographie, l'histoire de Magellan, l'histoire des Grands Découvreurs... donc beaucoup d'ouvrages qui appelaient la documentation, mais qui donnaient lieu, eux-mêmes, à être des sources. Lorsque Jules Verne se plaignait qu'on ne reconnaisse pas sa place dans la littérature française, Dumas lui a répondu : "Vous auriez dû être un auteur américain ou anglais. Alors vos livres, traduits en français, vous auraient apporté une énorme popularité en France et vous auriez été considéré comme l'un des plus grands maîtres de la fiction".
Dans ses romans se côtoient la légende et la science dans un monde ré-enchanté. Avons-nous besoin aujourd'hui de ré-enchanter le monde comme faisait Verne ?
G. St. B. : Jules Verne clôture une époque, il est le dernier des romantiques. Il est ami de Georges Sand, d'Alexandre Dumas, et arrive à un moment où s'ouvre une autre ère, l'ère Moderne. Il anticipe le 20 e siècle, avant d'être l'avant-gardiste du 21 e siècle. En 1905, il y a 100 ans, c'est la mort de Jules Verne, et c'est aussi l'année de la naissance de Jean-Paul Sartre, l'année où Albert Einstein publiait sa Théorie de la Relativité restreinte, dont on ne mesurera l'importance que beaucoup plus tard. C'est un nouveau siècle qui débute, un des plus tragiques, un des plus féconds. Et ce qui frappe chez cet homme qui meurt à 77 ans — c'est quand même un hasard curieux, car il a enchanté la jeunesse de 7 à 77 ans — c'est sa jeunesse d'esprit. Pourquoi ? Parce qu'il est toujours au début, il n'est jamais à la fin. C'est d'ailleurs sa devise : "La gloire, ce n'est pas d'être arrivé, c'est d'être parti" . Et je reconnais bien là le caractère du Verseau — car Verne est un Verseau — qui a cette espèce de goût de la fraternité, ce désir d'un futur harmonieux. C'est un homme qui est sans barrière, qui n'a pas d'oeillères, un esprit extrêmement ouvert. Et c'est parce qu'il a cet esprit ouvert qu'il peut intégrer toutes ces données qui rentrent dans son prodigieux cerveau, une usine de nuit qui travaille et qui recrache des romans fabuleux, sous des latitudes exagérément éloignées les unes des autres. Nous sommes sous la terre, sous la mer, vers la lune...
Cette culture universaliste et on peut dire aussi humaniste, n'est-elle pas un message pour aujourd'hui, à l'heure de la mondialisation ?
G. St. B. : Tout à fait. Parce qu'au fond, c'est quelqu'un qui transgresse les frontières et les races. Les caractères humains de Verne sont à la fois définis par les origines et pas du tout définis par la race. Par exemple à un moment, on a l'impression que Jules Verne n'admire que les Anglais, que les Français sont surtout des valets de pieds, comme des "passes-partout"... Et c'est vrai que l'Empire britannique a énormément écrasé Verne par son importance, quoiqu'il ait remarqué la brutalité et l'égoïsme des serviteurs de sa Gracieuse Majesté.
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Les bords de la Loire. D. R.
Journal de voyage de Jules Verne en Scandinavie (1861). © BM Amiens |