Le Monde de Franquin
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L'inconscient des objets
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Et on ne s’étonne guère qu’il installe des champignons de Paris dans les bacs de la chambre noire photographique afin de faciliter leur « développement ». « Logique », en effet, est obligé de répondre un Fantasio dépité, mais compréhensif. Franquin apparaît bien en cela comme le digne continuateur de celui qui, dans La Science des rêves, introduisait une bande dessinée pour illustrer la logique du travail onirique !

Mais bien avant les facéties de Gaston, Franquin avait su nous raconter une histoire plus merveilleuse encore sur les machines. Un conte qui porte sur la relation que l’homme entretient avec elles un jour aussi nostalgique que celui de Gaston peut être facétieux. Le conte d’un enfant triste et seul qui, un soir de 25 décembre, rencontre un vieux Monsieur qui lui confie un objet bizarre au nom plus bizarre encore : l’Elaouin Sdretu(1). Noël — c’est le prénom de l’enfant — ayant glissé la télécommande à l’intérieur d’une fente ménagée dans la machine, celle-ci s’empresse de l’avaler, de la digérer… et bien entendu de devenir autonome ! Après avoir sauvé Noël de la noyade et l’avoir séché à la chaleur d’un soleil artificiel, l’Elaouin va alors successivement fabriquer un os pour un chien hargneux, une voiture miniature pour l’enfant, une balle pour un garçon blasé, des souliers pour un vagabond, et même finalement de la belle neige pour tout le monde ! Bref, l’Elaouin est, comme le dit Noël, « une machine à faire plaisir » ! Mais y-a-t-il meilleure définition que celle-là pour désigner une bande dessinée?

On voit mieux en quoi la BD a pu constituer pour Franquin un moyen irremplaçable d’expression. Seul le crayon du dessinateur peut doter d’une vie équivalente l’image d’un être humain et celle d’un bricolage loufoque, et les réunir dans une égale sollicitude. Mais cet auteur fait plus encore : il leur attribue à chacun un inconscient. Décidément, Franquin avait compris avant beaucoup d’autres que plus les objets seront sophistiqués, et plus ils deviendront imprévisibles parce que leur logique s’éloignera de plus en plus de la nôtre. Leur âme, pétrie d’autres préoccupations que celle des humains, réservera toujours à ceux-ci des surprises déconcertantes. 

Ce texte est extrait du livre La bande dessinée au pied du mot, Paris, Aubier, 1990. (épuisé), texte revu, corrigé et actualisé par Serge Tisseron en septembre 2004.

Biographie


1 Franquin, Noël et l’Elaouin. D’abord publiée dans la série des mini-récits du journal Spirou, cette BD a été rééditée aux Editions Bédérama.

L’Elaouin, robot à faire le bonheur. © Marsu
La bande dessinée au pied du mot, Paris, 1990.
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