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Ce texte est extrait du livre : Petites leçons de sociologie des
sciences, Bruno Latour, Points Sciences, Le Seuil, Paris.
Rien de mieux pour penser l'essence de la technique que de choisir un petit exemple
- tel est notre travers à nous autres philosophes empiriques. Et pour
ne pas intimider par des techniques de pointe, prenons l'invention d'une
porte par ce maître de l'invention qu'est Gaston Lagaffe, le héros
de Franquin. En une planche tout est dit : la technique se définit par
la médiation des rapports entre les hommes d'une part, entre les hommes,
les choses et les bêtes d'autre part.
"Maaâw !" Soit un chat qui miaule dans le bureau du journal Spirou.
Pourquoi un chat dans un bureau belge ? Nous ne nous attarderons pas sur cette
question. Quoi qu'il en soit, le chat miaule et réclame de Prunelle, supérieur
hiérarchique de Gaston, qu'il ouvre la porte. "Je suis devenu portier
pour chat", s'écrie Prunelle indigné d'être mécanisé,
instrumentalisé, machiné par une porte, par un chat et par Gaston.
De même qu'il existe des grooms — humains et mécaniques — qui
ferment les portes, Prunelle est devenu un groom humain ouvre-et-ferme-porte.
Sa posture figée et furieuse indique assez qu'il imite une machine, qu'il
fait le robot.
Une crise éclate bientôt car le chat miaule encore. Il veut que
la porte soit toujours ouverte afin d'aller et venir librement. Cette psychologie
du chat, Prunelle devrait la connaître. Son ignorance indigne Gaston : "Tu
ne sais pas qu'un chat ne supporte pas les portes fermées ?!?... Et qu'il
a besoin d'une sensation de liberté ?!..." Gaston — porte-parole
des droits du chat — et le chat dignement représenté par
Gaston et capable d'ailleurs de s'exprimer lui-même par des miaulements à fendre
l'âme — veulent donc que le groom-ouvre-et-ferme-porte soit toujours
de garde afin de faire respecter le droit des bêtes. C'est qu'ils ignorent
portes et murs, les félidés, et que, s'ils aiment à profiter
du confort des âtres, ils ne veulent pas y rester prisonniers. Parfaits
parasites,
ils veulent tout prendre sans rien donner. Domestiques mais sauvages, tels sont
les chats. Nul n'y peut rien changer.
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