La science enchante les détails et l'ensemble. Comme tout le monde, j'ai cent fois vécu l'expérience de voir des bêtes ou des fleurs, des paysages ou des ciels sans rien savoir et de les revoir après avoir appris. Alors les mêmes vivants se métamorphosent et voici un tout autre jardin, une tout autre mer, réenchantés. Or ce redoublement d'enchantement produit par la rencontre entre la connaissance et la vue ou la visite s'exprime, chez lui, en une troisième élévation, par une référence mythologique ou religieuse. Le monde éclate tellement de miracles, perçus puis sus, que seul un récit fabuleux peut les relater, mieux, les chanter.
Naviguez par mer calme ou tempête, traversez à pied le Sahara, laissez-vous surprendre par l'aube au milieu d'une paroi des Alpes ou d'un couloir de glace. Vous entonnerez aussitôt ce psaume. Dès que se mettent en contact le savoir des choses et les choses elles-mêmes, visitées mais comprises, l'enchantement croît tellement qu'il faisait dire à Einstein, devenu, du coup, panthéiste "L'incompréhensible, c'est que le monde soit compréhensible." Les mythes, les religions expriment à merveille cet enchantement.
J.-P. D. : Et les fictions ainsi que les construit Jules Verne...
M. S. : Religieuse, mythologique, littéraire, poétique, esthétique, etc., la troisième strate vient de cet enchantement singulier, produit par le court-circuit entre le monde que je vois et la pensée qui me permet de le comprendre. Elle exprime au plus près ce réenchantement donné par la lumière inattendue de la compréhension. Je me souviens avoir escaladé dix volcans, en Islande, en Équateur et au Pérou, en Californie, au Japon, en Indonésie, et d'être revenu en Auvergne, alors que j'y avais vécu onze ans sans avoir vu vraiment la spécificité de son relief. J'avais assimilé, de plus, pendant ces années, un savoir géophysique : la théorie des plaques, etc.
À mon retour en Auvergne, j'ai vu que je ne l'avais jamais vue, alors que je l'avais parcourue et visitée pendant onze longues années. Tout d'un coup, elle transcendait celle que j'avais connue. Je fis, alors, le tour du lac Pavin, précédé par Béatrice. La science enchante le monde, mais on ne peut exprimer cet enchantement qu'au moyen d'un troisième récit.