L'un des personnages de Verne, Hatteras est fasciné par le pôle. Il initiera la vocation de Jean-Baptiste Charcot. Y a-t-il une "certaine forme de folie" à vouloir explorer les pôles ?
L. de la F. : Le pôle est le point le plus inaccessible du monde pour l'humain et cela me fascine d'aller vers de tels lieux. Jules Verne, je l'ai redécouvert récemment, et en lisant l'histoire du capitaine Hatteras, j'ai eu le sentiment de lire ma propre histoire sur le plan humain, dans la démarche et dans le déroulement du processus psychologique — mais j'espère que je ne finirais pas comme lui (rires).
Je suis totalement fasciné par la perception que Jules Verne avait de ce monde. Le plus incroyable c'est qu'il ait pu écrire cette histoire. Je me suis alors dit à la fois: j'aurais dû le lire avant et heureusement que je ne l'ai pas fait, car il savait tout avant que je ne le fasse. Alors peut-être que je n'aurais pas eu besoin d'aller en Antarctique (rires).
Qu'est-ce que l'homme recherche en repoussant ses limites : limite de l'exploration des territoires, et limite physique et psychologique ?
L. de la F. : Elles vont de pair. L'exploration du territoire est un alibi, je crois que le plus important, et ce qui me rapproche le plus de l'univers de Jules Verne, c'est l'exploration intime. C'est là, je pense, qu'il y a les plus grandes choses à découvrir dans le territoire humain, tout ce qui fait de nous des êtres différents des animaux et des choses.
Je crois que ce type d'univers comme l'Antarctique vous permet d'aller plus loin sur le plan humain, car il est dénudé et c'est un immense miroir. Cela vous oblige à voir ce que vous êtes, ce que vous voulez ou pas. Cela vous laisse très libre de penser. Il n'y a pas d'influence extérieure humaine qui est, pour moi, un piège, alors que la nature nous pousse à être extrêmement créatifs.
Quelle est l'importance de l'imaginaire pour les explorateurs ?
L. de la F. : Lorsque j'étais jeune, je lisais beaucoup d'histoires vraies ou de fiction. J'ai nourri mon imaginaire, mais je ne me disais pas : un jour, je gravirai le sommet de l'Everest, je serais exploratrice, et je traverserai l'Antarctique à pied. Ce sont des choses que l'on ne calcule pas. Mais c'est difficile à expliquer, car je pense que si Jules Verne a pu écrire l'histoire d'Hatteras, j'ai pu vivre ce que j'ai vécu. À mon tour, il me resterait à écrire pour aller plus loin et un jour, il y aura des gens qui le feront. C'est l'histoire du monde, il y a une alternance incroyable entre le spirituel et l'imaginaire, entre la création d'histoires fantastiques et leur réalisation.
Vers 1885 Vernes parlait des risques de réchauffement climatique. En tant qu'exploratrice, que pensez-vous ?
L. de la F. : Quoi qu'il arrive, il n'est jamais trop tard pour enlever les peaux de banane devant nos yeux ! Sinon, on n'a qu'à tous en finir et on aura résolu le problème ! Il est clair que le risque est énorme et qu'un jour ou l'autre, nous payerons notre inconscience et ce non-respect de l'univers qui nous entoure.
Je pense que l'Antarctique ne va pas disparaître, même s'il y a des icebergs qui s'en détachent. Par contre, aujourd'hui en Arctique, il est presque impossible d'aller au pôle Nord à pied et ce n'est pas normal. Il y a des cycles et à certaines périodes des modifications climatiques et des espèces qui disparaissent et d'autres qui réapparaissent. Mais aujourd'hui, je pense que ce sont des évolutions qui vont dans le sens d'une autodestruction.