La première souris informatique au monde.
Le fac-similé du brevet.
Dessins : © USPTO
C'est la première souris informatique, inventée par Douglas Engelbart. Ici, le fac-similé du brevet, daté de novembre 1970.
Visionnaire, Douglas C. Engelbart l’est assurément. Car il n’y a pas un seul ténor de l’informatique, de Bill Gates (Microsoft) à Larry Ellison (Oracle) en passant par Steve Jobs (Apple), qui ne soit redevable des intuitions de Doug.
L’aventure commence dans les années soixante. Après avoir obtenu un doctorat dans une toute jeune discipline appelée informatique, Douglas Engelbart s’installe à Berkeley et est aussitôt engagé par le Stanford Research Institute (SRI) où il crée un groupe appelé Augmentation Research Center. Car l’obsession du jeune Douglas est d’augmenter nos pouvoirs. « Je me disais : le monde devient tellement complexe. Il faut trouver un système qui puisse maximiser notre capacité de gérer les problèmes complexes et urgents. Sinon, nous allons à la catastrophe ».
La première souris, tout en bois.
Photo de Douglas C. Engelbart et de la souris © Bootstrap Institute
En 1963, à l’heure où les ordinateurs diplodocus se gavent de cartes perforées, il prophétise en substance : bientôt les hommes disposeront de postes de travail informatisés individuels, qui seront branchés en réseaux et qui utiliseront le traitement de texte pour mettre notre créativité en oeuvre, avec des dictionnaires en ligne, adaptés au processus d’écriture !
Ses idées, sans doute trop en avance, n’émeuvent personne. Mais l’homme a la persévérance des découvreurs. Il veut repousser les frontières de l’informatique, ouvrir des fenêtres. Les fenêtres... Aujourd’hui, elles peuplent naturellement nos machines. C’est exactement ce que voulait cet ancien technicien des radars : disposer de vues multiples sur un seul ordinateur, comme si l’on pouvait manipuler une dizaine d’écrans à la fois. Avec la mise au point des fondements de l’affichage par fenêtre, Engelbart pose les premières briques de l’espace cybernétique, du cyberespace.
Restait à trouver le moyen de manipuler ces données comme sur une feuille de papier. Une idée s’impose dans la tête du jeune ingénieur : celle d’un système qui gère des positions X-Y sur l’écran grâce à deux roues à angle droit et à un bouton.
Un outil pour gérer des "problèmes complexes".
© Bootstrap Institute
A mouse is born. Lorsqu’à l’automne 1968, il dévoile son système multimédia, clavier, pavé numérique, souris et fenêtre, l’Advanced Research Project Agency (ARPA), aussi à l’origine de l’Internet, ne s’y trompe pas et devient son principal client. Cependant, si l’homme a le sens des innovations, il n’a pas celui des affaires, puisqu’il vendra le brevet du « mulot » au Massachusetts Institut of Technology pour une poignée de dollars.
Le plus incroyable dans cette histoire, c’est que le SRI a toléré les « délires » d’Engelbart que parce qu’il recevait des subventions. Le jour où elles lui furent retirées, son équipe fut dissoute, certains rejoignant le fameux centre de recherche de Xerox, crée en 1970 à Palo Alto. Ce dernier développera la vision d’Engelbart, tout comme un certain Steve Jobs, qui la popularisera avec le Macintosh...
Guidé par une idée maîtresse — l’information va devenir le pivot de l’économie — Engelbart contribuera ensuite activement à la naissance de l’Internet, comme à celle de l’hypertexte. Il est même l’auteur — en 1983 — d’un système révolutionnaire pour la frappe de textes (le clavier accordable), qui, s’il n’avait été bloqué pour des raisons culturelles, aurait renvoyé le clavier dactylographique aux oubliettes de l’histoire.
Aujourd’hui, il travaille au Bootstrap Institut qu’il a fondé avec sa fille sans déroger à sa philosophie de la relation homme-machine : l’ordinateur n’est qu’un prolongement technologique, une sorte de prothèse du cerveau humain. Il ne doit pas se substituer à lui. Une conception à méditer au moment où les robots s’apprêtent à envahir notre vie.
Jean-Rémi Deléage